Afin de répondre à des demandes de certains adhérents, je vais consacrer ce numéro aux avortements qu’ils soient pathologiques ou de convenance. La notion d’avortement est à la fois liée à la mise bas avant le terme de la gestation et à la naissance d’un fœtus mort « in utero ».
On parle de préférence d’interruption de grossesse lorsqu’on intervient volontairement avec des traitements abortifs en début de gestation avant que le fœtus ne soit pas viable, et de provocation ou bien induction de la parturition en fin de gestation.
Je m’appuie sur les connaissances concernant les chevaux, la littérature anesque étant pauvre sur le sujet. Je profite de l’occasion pour remercier le Professeur BERTHELOT de l’Ecole vétérinaire de Toulouse pour les renseignements qu’il m’a donné et les documents qu’il m’a fait parvenir.
I – AVORTEMENTS PATHOLOGIQUES
Les avortements peuvent être classés en non infectieux « accidentels » ou en infectieux, conséquences d’une maladie, donc pouvant déboucher sur une prévention.
A) AVORTEMENTS NON INFECTIEUX
1 – Gémellité
Une étude sur 62 cas de gestation gémellaire suite à un diagnostic précoce de gémellité a montré que dans 65% des cas il y a avortement ou naissance de poulains morts, dans 21% des cas il y a naissance d’un seul fœtus vivant et 14% des cas les deux sont vivants.
En dehors de l’avortement, d’autres conséquences ont été décrites comme des dystocies au moment de l’accouchement avec des risques de présentations simultanées, des mauvaises positions… donc une surveillance particulière, lorsque la gémellité est connue, doit être apportée. Une autre conséquence est un risque de rétention du placenta avec expulsion partielle. Enfin sont décrites des conséquences en ce qui concerne les fécondités suivantes.
2 – Causes génétiques
Des causes génétiques on été avancées dans certains avortements. Je pense que l’on peut classer dans ce chapitre la consanguinité.
3 – Causes toxiques et iatrogènes
De nombreux toxiques, en fonction de l’importance de leur ingestion ou de leur nature, peuvent provoquer des avortements. Cela peut être le cas lors d’ingestion de produits chimiques ou de plantes toxiques. En ce qui concerne notamment les plantes toxiques, ce sont celles qui ont à la fois un pouvoir neurotoxique et un pouvoir sur les muscles lisses de l’utérus qui sont à incriminer, car on a un double effet d’intoxication du fœtus et d’expulsion en provoquant des spasmes utérins, souvent précédés de spasmes intestinaux et donc d’apparition de coliques ; les toxiques rénaux et hépatiques ont eux aussi un pouvoir abortif, mais plus tardif.
Les causes iatrogènes sont l’utilisation de traitements médicaux à risque abortif dont l’exemple le plus connu est l’utilisation de corticoïdes stéroïdiens en cours de gestation, et notamment dans le dernier tiers.
4 – Les causes hormonales
La gestation est présidée par l’équilibre entre les hormones progestatives et les œstrogènes. Après la fécondation et très rapidement apparaît le corps jaune ovarien qui, par la production de progestérone, assure la nidification de l’ovule fécondé et donc la formation du fœtus, son maintien durant toute la gestation et son développement. En fin de gestation la disparition du corps jaune par autolyse provoque la mise bas. La disparition précoce du corps jaune entraîne automatiquement l’avortement. Dans de nombreux cas d’infécondité des traitements hormonaux permettent de maintenir l’équilibre hormonal.
5 – Causes nutritionnelles
La transmission de la vie, la sauvegarde de l’espèce font que, même lorsque la nourriture est pauvre, les ânesses viennent en chaleur, peuvent être fécondées et amener à terme leur fœtus. Mais il y a des limites et lors de grandes malnutritions avec une raréfaction d’un apport vitaminique, de sels minéraux, de calories et d’éléments glucidiques, la mortalité fœtale se produit est donc suivie d’un avortement. Attention également aux mises bas successives sans discernement, avec des ânesses très bonnes nourrices qui s’épuisent surtout lorsque l’alimentation est pauvre et qu’aucune compensation n’est apportée. Éleveurs, pensez à la mère qui n’est pas faite que pour reproduire.
6 – Causes physiques
Parmi les causes physiques on peut citer l’insuffisance placentaire qui entraîne un mauvais échange sanguin entre la mère et le fœtus. Également la torsion du cordon ombilical qui provoque une véritable asphyxie du fœtus. Les traumatismes et le stress sont également cités comme cause d’avortement. Dans ces deux cas ce sont souvent les déplacements mal maîtrisés, les brutalités, les bousculades entre les animaux qui sont les causes principales. Les conditions de transport doivent apporter du confort pour les ânesses gestantes en particulier dans le dernier tiers de la gestation.
Enfin parmi les causes physiques on peut citer les coliques, avec les spasmes et les roulades importantes en cas de grande douleur, même si de ce côté-là il y a une différence notable entre la jument aux réactions très vives et l’ânesse beaucoup moins expressive dans la douleur.
B) AVORTEMENTS INFECTIEUX
1 – Bactéries
On distingue parmi les bactéries pouvant provoquer des avortements des germes banals, comme les streptocoques ou les klebsiellas, qui comme pour toute infection générale avec septicémie peuvent atteindre le placenta et le fœtus, et des germes spécifiques qui ont pour conséquence de provoquer l’avortement en première intention. On peut citer parmi ces germes spécifiques une salmonelle « salmonella abortus equi » rare en France, des leptospires qui en même temps que l’avortement ont souvent une forme aigue ictéro-hémorragique. Dans certains cas la prévention fait appel à des mesures sanitaires comme le nettoyage des abreuvoirs, l’interdiction d’accès à des zones à risque (mares, prairies inondées). Les traitements antibiotiques sont à instaurer après un diagnostic qui fait appel aux analyses en laboratoire. L’artérite virale est provoquée par un virus de la famille des artériviridae, elle peut avoir une forme aigue de type grippal, provoquer des avortements ou bien avoir une forme inapparente. Le diagnostic fait appel à des techniques spécifiques. La prévention médicale n’existe pas en France.
Pour être complet il faut savoir que des agents mycosiques ont pu être mis en évidence et mis en cause lors d’avortement.
2 – Virus
Les deux maladies virales les plus connues et décrites chez les équins sont la rhino-pneumonie équine et l’artérite virale.
La rhino-pneumonie est provoquée par un herpès virus. Elle s’exprime sous quatre formes dont une abortive. Le diagnostic fait appel à des méthodes spécifiques dont l’analyse de l’avorton entier reste la plus fiable. Une prophylaxie médicale avec l’utilisation de vaccins inactivés peut être mise en place.
Même si on ne rencontre pas forcément cette maladie partout en France d’une manière régulière, il faut être vigilant pour nos ânes dans les zones où la maladie est plus fréquente ou lors d’épidémies que votre vétérinaire ne manquera pas de vous indiquer, notamment lors des vaccinations plus classiques contre la grippe.
Pour être complet il faut savoir que des agents mycosiques ont pu être mis en évidence et mis en cause lors d’avortement.
II – AVORTEMENTS PROVOQUÉS
De nombreuses raisons peuvent conduire à prendre une décision d’interruption de la gestation : une saillie trop précoce sur une ânesse trop jeune (dans certains cas les jeunes ânesses peuvent avoir leurs premières chaleurs à partir de 8 à 9 mois d’âge), une mésalliance avec un mâle beaucoup plus lourd en poids et taille, avec un cheval, une connaissance de gémellité ou tout simplement pour convenance personnelle.
A) INTERRUPTIONS PRÉCOCES
Plus on intervient en amont, meilleur est le résultat et moindres les risques d’effets secondaires.
L’intervention entre le 7ème et le 35ème jour est de loin la meilleure avec pratiquement pas d’échec et un retour rapide des chaleurs. La surveillance de non retour des chaleurs en l’absence d’examens précoces très spécifiques est une bonne méthode. Rappelons que l’intervalle entre deux chaleurs sur l’ânesse est environ de 4 semaines.
L’avortement embryonnaire intervient donc très rapidement dans ces cas d’intervention très précoces.
Les produits utilisés aujourd’hui sont les prostaglandines avec la PGF 2 alpha, beaucoup plus fiables que les œstrogènes dépassés ou la Dexaméthasone non recommandée. Les Prostaglandines sont des hormones sexuelles qui ont une action double : un effet lutéolytique qui entraîne la lyse du corps jaune et un effet spasmolytique sur les fibres musculaires lisses de l’utérus. La PGF 2 alpha agit dès que le corps jaune est formé, soit environ 7 jours après l’ovulation et permet donc un avortement précoce. Les Prostaglandines utilisées actuellement sont des analogues de synthèse, plus actifs car moins dégradés que les prostaglandines naturelles, et présentant moins d’effets secondaires comme l’apparition de coliques.
B) INTERRUPTIONS TARDIVES
Au-delà du 35ème jour il est possible d’intervenir. Souvent les suspicions arrivent vers le 3ème mois. Les réponses aux traitements sont moins garanties et les effets secondaires plus fréquents. L’utilisation des prostaglandines est en général possible jusqu’au 150ème jour. Plus tard il faut s’abstenir. Il est évident que la précocité du diagnostic de gestation est un élément primordial, il dépend des moyens techniques à la portée de votre vétérinaire, le plus courant étant l’échographie. Seul votre vétérinaire peut utiliser les prostaglandines, il jugera la posologie et la répétition de l’injection (en principe deux injections à 48h ou 72h d’intervalle).
Parmi les prostaglandines utilisées on peut citer :
– le Dinoprost (hormone naturelle)
– le Cloprosténol
– le Luprostiol
– l’Alfaprostol.
C) INDUCTION DE LA PARTURITION
Très proche de la fin du terme, on peut être tenté de provoquer l’accouchement s’il y a une suspicion de risque de difficultés à la mise bas : ânon volumineux par rapport au bassin de la mère, connaissance de gémellité, connaissance de malformation du bassin accidentelle… Les prostaglandines sont utilisées et l’accouchement intervient dans les heures qui suivent l’injection. La conséquence habituelle est la rétention placentaire.
III – CONSÉQUENCES DES AVORTEMENTS
La conséquence la plus classique est la rétention placentaire ou délivrance partielle. Le placenta doit être expulsé dans les deux ou trois heures qui suivent la mise bas, il doit être complet. Pour vérifier facilement que le placenta est complet il faut l’étaler. Etalé il ressemble à un « collant » avec un corps, deux jambes et deux pieds. S’il manque un morceau c’est surtout le pied qui est absent. Le vétérinaire doit être rapidement appelé pour intervention : délivrance manuelle, lavements utérins, antibiothérapie…
Lors d’avortements infectieux l’apparition de métrites est fréquente avec répercussion sur l’état général, risque de septicémie, d’intoxication bactérienne (intoxination). Dans de nombreux cas apparaît une « fourbure de parturition ». L’intervention du vétérinaire est indispensable. Enfin, pour être plus complet, une dernière conséquence est l’apparition d’une infécondité de l’ânesse.
Je reste toujours disponible pour des renseignements complémentaires, conscient sur ce sujet comme sur d’autres qu’il est difficile de faire de la vulgarisation d’informations scientifiques, pauvres en ce qui concerne nos « amis aux grandes oreilles », et de donner des conseils pratiques.
Asinement vôtre,
Jacques ROSET, vétérinaire
extrait du numéro 78 de l’Âne Bleu